Contaminants dans le lait maternel vs. lait infantile
La population générale est exposée à de nombreux contaminants (> 150 000 molécules, Anses 2021). Le bisphénol A et certains métabolites de phtalates, de pesticides (principalement les pyréthrinoïdes), les dioxines, les furanes, les polychlorobiphényles, les retardateurs de flamme bromés, les composés perfluorés et les métaux (sauf l’uranium) ont été mesurés à des concentrations quantifiables chez près de 100 % des femmes enceintes (SFP 2011). Le lait maternel peut être une source de contamination pour le nouveau-né et le nourrisson allaité. C’est une matrice prisée car son prélèvement est non invasif, accessible à des procédés d’extraction des polluants connus, c’est aussi le témoin de la charge corporelle maternelle. En cas d’allaitement maternel il faudra prendre en considération une toxicité directe en cas d'exposition récente mais aussi ancienne de la maman à un polluant qui passe dans le lait (ingestion d’aliments contaminés ou exposition à un environnement contaminant domicile, extérieur y compris lie et conditions de travail).
Le transfert des xénobiotiques du lait de la mère vers l'enfant est-il possible ?
Le passage dans le lait des xenobiotiques se fait essentiellement par diffusion active et passive, les plus lipophiles auront plus de facilité à passer dans le lait et à être transférés. Ce taux de transfert des polluants dans le lait maternel va dépendre de :
- La capacité pour les molécules à être internalisées compte tenu de la voie principale de pénétration dans l’organisme en milieu de travail (inhalation principalement, passage transcutané dans une moindre mesure, très peu d’ingestion encore que cette voie est très méconnue et peu documentée en milieu de travail) ;
- Les niveaux d’exposition et de contamination en termes de concentration plasmatique pour permettre une diffusion passive vers le lait ;
- Les formes physico-chimiques des contaminants et/ou de leurs métabolites actifs (formes non liées aux protéines plasmatiques, charges électriques) ;
- La période d’exposition par rapport au moment de l’allaitement en fonction de la demi-vie de la substance (les expositions antérieures à la période d’allaitement doivent être prises en compte pour les polluants biopersistants).
- Les femmes primo-allaitantes, et celle a IMC élevé sont plus à risque
- La notion de co-exposition exemple : tabagisme ou comorbidité : carence martiale ; vitamine D…
Quels polluants sont retrouvés dans le lait de mère ?
L’exposome chimique comprend à la fois les composés actuellement produits ainsi que ceux qui ont été interdits mais qui, en raison de leur forte persistance dans l’environnement, sont encore présents i.e. les Polluants Organiques Persistants (POPs). Peu de dosages dans le lait maternel ont été réalisés sur la population française contrairement à de nombreux autres pays qui effectuent ces dosages depuis longtemps (Martín-Carrasco et al., 2023). Le HCSP a publié en 2025 un état des lieu exhaustif et proposer des actions.
- Des métaux (Pb, Cd, Hg et As) ; ils sont plus fréquemment recherchés dans les laits artificiels et sont retrouvés en moyenne en quantité plus importante comparativement aux laits maternels ;
- Certains pesticides (de la famille des organophosphorés, pyréthrinoïdes, organochlorés). Il existe plus d’études sur le lait maternel que sur les laits artificiels. Les pesticides de la famille des néonicotinoïdes et carbamates n’ont été recherchés que dans le lait maternel. Le glyphosate n’a été recherché que dans les laits artificiels. Certains pesticides organochlorés (OC) interdits depuis des dizaines d’années ne sont pas détectés (par exemple HCH (1 étude) DDT (1 étude)) ;
- Des produits de combustion tels que les HAP, bien qu’il existe peu d’études sur ces contaminants dans le lait au niveau mondial. Les dioxines et PCB retrouvés dans les laits maternels n’ont été recherchés dans aucune étude consacrée au lait artificiel ;
- Des PFAS et bisphénols ; Les études consacrées à la recherche de ce type de polluants dans les laits maternels sont plus nombreuses que dans les laits artificiels. Aucune des études répertoriées dans cette revue n’a reporté de recherche de phtalates dans le lait maternel contrairement aux laits artificiels ;
- Des nanoplastiques ont été détectés dans l’environnement et le lait maternel en particulier. Parmi eux, le polycarbonate a une affinité de liaison élevée avec l’immunoglobuline A sécrétoire (SIgA),
L’étude Conta-Lait réalisée par l’ANSES avait pour objectif dans un premier temps d’évaluer l’exposition aux contaminants chimiques chez les enfants de moins de 6 mois nourris au lait maternel, puis dans un second temps de comparer l’exposition aux contaminants chimiques chez les enfants de la même tranche d’âge nourris au lait artificiel (étude de l'alimentation totale infantile, EATi, 2016). La population cible de cette étude correspondait aux femmes de plus de 18 ans, vivant en France métropolitaine, qui allaitaient des nourrissons âgés de 0 à 6 mois. Ces contaminants sont classés en cinq grandes familles chimiques : Eléments Traces Métalliques, Dioxines/furanes et PCB, composés perfluorés, composés bromés et pesticides organochlorés. Les résultats de l’étude Conta-Lait ont ensuite été comparés aux résultats de l’étude EATi. Peu de différences ont été observées entre les laits maternels et artificiels pour les douze contaminants pointés dans l’étude Conta-Lait. Cependant, pour ce qui concerne les polluants organiques très persistants, aussi bien dans l’environnement que dans les organismes, les concentrations sont supérieures dans les laits maternels, ce qui implique d’engager des politiques publiques de prévention visant à réduire l’exposition aux polluants de la population générale dont les femmes en âge de procréer, enceintes et allaitantes. Les teneurs en POPs dans le lait maternel sur 30 ans sont en conséquence en diminution dans 90 pays/ Il est indispensable de rappeler que des substances toxiques ont été retrouvées spécifiquement dans les laits artificiels, aliments ultra-transformés: acrylamide, furanes et mycotoxines de la famille des trichothécènes (T2, HT2 et DON) à des concentrations élevées.
Aucun impact sur la croissance n’a été retrouvé chez des prématurés exposés à 102 polluants dont les POPs via le lait maternel. Le niveau d’exposition qui entraînera une perturbation du système endocrine, de l'appareil reproductif, des fonctions immunitaires, voire un risque carcinogène, neurotoxique ou génotoxique reste à déterminer pour la majorité des polluants. On constate des inégalités d'exposition d'un pays à l'autre avec des régions plus à risques que d'autres, liées essentiellement aux habitudes alimentaires de ces populations et à l’environnement. Il existe aussi des polymorphismes génétiques caractérisés par différents métabolismes, et chaque individu, la mère ou l'enfant allaité, n'est pas sensible de la même façon.
Conclusion
Les avantages de l’allaitement maternel dépassent de loin les risques de contamination par le lait maternel. L'exposition in utero est un facteur très important, d'où une nécessaire collaboration obstétricale, maïeutique, pédiatriques pour informer les mères dès la période anténatale et sur toute la période des 1000 jours. Ainsi en plus d’une action directe, un effet épi génétique à plus long terme caractérise cette fenêtre de vulnérabilité. L’environnement de travail peut exposer la future mètre allaitante. A ce jour le congé maternité est très court et il n’existe pas de congé allaitement et de nombreuses mères essayent de poursuivre leur allaitement à la reprise du travail. L’environnement de travail peut redevenir une source d’exposition qui doit être évalué par la médecine du travail.
La prévention passe par la sensibilisation des populations. Le développement des projets d’éco-maternité qui vise à réduire l’exposition des femmes enceintes et des jeunes enfants aux polluants environnementaux mais aussi à sensibiliser les familles aux enjeux de santé environnementale. Il faut promouvoir la recherche, développer des études épidémiologiques et des indicateurs, afin d'évaluer à court moyen et long terme les effets de ces substances, même à très faible dose.
Références
- https://www.gifa.org/publications/hcsp-rapport-sur-lallaitement-maternel-2024/
- Ortega-García JA, Aguilar-Ros E, Ares-Segura S, Agüera-Arenas JJ, Pernas-Barahona A, Sáenz de Pipaón M, Campillo I López F, Ferrís I Tortajada J. Occupational exposures, diet and storing: Recommendations to reduce environmental pollutants in breastfeeding]. An Pediatr (Engl Ed). 2021 Apr;94(4):261.e1-261.e9.
- Hoadley L, Watters M, Rogers R, Siegmann Werner L, Markiewicz KV, Forrester T, McLanahan ED. Public health evaluation of PFAS exposures and breastfeeding: a systematic literature review. Toxicol Sci. 2023 Jul 28;194(2):121-137.
- Martín-Carrasco I, Carbonero-Aguilar P, Dahiri B, Moreno IM, Hinojosa M. Comparison between pollutants found in breast milk and infant formula in the last decade: A review. Sci Total Environ. 2023 Jun 1;875:162461
- Serreau R, Terbeche Y, Rigourd V. Pollutants in Breast Milk: A Scoping Review of the Most Recent Data in 2024. Healthcare (Basel). 2024 Mar 18;12(6):680.
Mémo 1 : L’exposome chimique comprend d’après le rapport HCSP 2024
Memo 2 : Bonnes pratiques en cas d’allaitement maternel
Diminuer le taux de polluant dans le lait maternel peut se faire en lavant, épluchant soigneusement les légumes, adaptant la consommation des produits laitiers, évitant les poissons gras de fin de chaîne. Il faut préférer les petits poissons gras de début de chaîne, riches en acides gras polyinsaturés qui ont un rôle majeur dans le développement neurologique de l'enfant.
Ne pas initier un régime durant l'allaitement maternel, car cela va libérer tous les toxiques stockés dans ces graisses. Évitez de fumer et de consommer de l'alcool. Limiter l'utilisation de produits domestiques non éco-labellisés et évidemment l’utilisation de pesticides, insecticides, herbicides. Fuir la proximité des décharges, des usines d'incinération et des déchets, et éventuellement, envisager un changement de poste pour une mère allaitante exposée à un environnement à risque toxique. Concernant ce dernier point, Il existe les directives de février 2011 vis à vis de la médecine du travail pour permettre à ces mamans d'avoir une réorganisation de leur poste de travail pour que, durant l'allaitement maternel, elles puissent ne pas exposer leur bébé.
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